II. Un sujet d'inspiration artistique et sociale : perpétuer le mythe Rimbaud


        1. Un mythe amoureux perpétué par le monde des arts


        Aujourd'hui, il est difficile de parler de Rimbaud sans évoquer son amant Paul Verlaine. En effet, quoique l'histoire ai retenu la séparation des deux amants bien avant la mort de Rimbaud, les deux poètes restent indissociables aux yeux des médias actuels. Ainsi, par l'intermédiaire du film Total Eclipse d'Agnieszka Holland, ce travail mettra en avant la manière dont l'industrie du cinéma a participé à la construction du mythe Rimbaud-Verlaine.

Le film de Holland perpétue véritablement la relation Rimbaud-Verlaine mais d'autres artistes avant lui ont participé à la création du mythe, tel, par exemple, le domaine musical. Ici, albums et chansons faisant référence à la relation Rimbaud-Verlaine : 

"L'absinthe" in Barbara, La Fleur d'amour, Philips, 1972
"You're Gonna Make Me Lonesome When You Got" in Bloods on the Tracks, Columbia, 1975 "Léo Ferré chante Verlaine et Rimbaud", Léo Ferré, Barclay, 1991
■ "Adam et Yves" (single), Zazie, Mercury France, Universal, 2002
Verlaine and Rimbaud, David Paul Gibson, Opéra, 2005
Pour venir dans tes bras, devenir ton amant, Pascale-Jeanne Morisseau, 2006
■ "Verbaudrimlaine" in L'âge d'horizons, Serge Lama et Gélisdéa Tomassi, Warner, 2008


 La musique réunit les deux amants au sein de ces recueils musicaux. De cette manière, elle lie incontestablement les poésies et les vies des deux hommes.
Ainsi, couple médiatique, la relation amoureuse entre les deux poètes était déjà célèbre de leur vivant. Entre vie de bohème, abandon conjugal et procès du "drame de Bruxelles", les deux amants ne se sont jamais cachés de l'affection qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre. D'ailleurs, le Musée des Lettres de Bruxelles est le digne représentant de l'amour qui unissait les deux hommes car abritant la correspondance qu'ils ont entretenue durant leur relation amoureuse. Le blog suivant nous offre quelques unes de ces fameuses lettres :


Remarquons ici l'intimité et l'amour qui émanent de ces lettres. Dans celles-ci, on en oublie les deux poètes pour ne finalement lire que la simple correspondance entre deux amants ordinaires. Ces lettres ont véritablement participé à la création du mythe Rimbaud-Verlaine car étant la représentation même de leur amour. C'est d'ailleurs celles-ci qui ont inspiré son film à Holland. Ainsi, revenons sur la biographie des deux poètes, par l'intermédiaire de ces lettres et tentons d'analyser la manière dont le film d'Holland les représentent.


Etude comparative entre la lettre de Rimbaud à Verlaine et l'extrait du film Total Eclipse qui la représente :




Quoique le film ne reprenne pas mot à mot la lettre de Rimbaud, il est évident qu'il y fait écho. La correspondance de 1873 laisse entrevoir un Rimbaud triste, désespéré et désemparé d'avoir perdu son amant. C'est véritablement une lettre d'excuses qu'il envoie à Verlaine pour que celui-ci lui pardonne son comportement. En effet, comme nous l'avons vu précédemment, lorsqu'ils étaient à Londres, Verlaine avait de plus en plus de mal à supporter les moqueries incessantes de son ami. C'est donc pour se rependre de son caractère de jeune adolescent que Rimbaud envoie cette déclaration d'amour à Verlaine, le suppliant de revenir auprès de lui. Dans la version d'Holland, le personnage de Rimbaud s'excuse en quelques mots de son attitude pour finalement, arrivé à Bruxelles, gifler son amant pour le punir de l'avoir abandonné. Mais, le film donne plus l'impression que Rimbaud, après s'être battu avec Verlaine, reproche à celui-ci de l'avoir laissé seul et surtout sans argent. Ici, le spectateur perd cette image d'un Rimbaud amoureux se repentant pour finalement se retrouver face à un personnage vivant au crochet de son amant. De plus, une fois sur place, c'est le jeune Arthur qui finit par menacer Verlaine de le quitter. Ainsi, les rôles s'inversent et c'est finalement le "frère pitoyable" qui s'excuse d'avoir laissé le jeune Arthur sans un sou à Londres. 
Ainsi, Holland oublie la rédemption dont fait preuve Rimbaud dans cette lettre. Au contraire, elle fait même de lui le dominant du couple, jeune homme capricieux auquel le pauvre Verlaine ne peut rien refuser. Ici, nous retrouvons donc un écho à la vision populaire d'un Arthur Rimbaud sans attache et fascinant son amant amoureux et soumis. Mais, dans le réalité des faits, rien ne laisse penser que Rimbaud maltraité à ce point Verlaine et c'est bien une relation d'égal à égal que partageaient les deux hommes.

De plus, il ne faut pas oublier qu'à cette époque, le doute habitait le "frère pitoyable" dont le souvenir de sa femme le hantait continuellement. Verlaine a toujours été tiraillé entre l'amour qu'il éprouvait pour Rimbaud et celui pour sa femme Mathilde. D'ailleurs, comme il l'explique dans sa lettre du 3 juillet 1873, Verlaine est bien décidé à reconquérir son épouse. La situation est donc tout à fait critique pour Rimbaud car devant convaincre son amant de le choisir lui plutôt que de retourner avec sa femme ("ta femme ne viendra pas ou viendra dans trois mois, trois ans, que sais-je. (...) Crois-tu que ta vie sera plus agréable avec d'autres que moi : Réfléchis-y ! - Ah ! certes non ! Avec moi seul tu peux être libre, et, puisque je te jure d'être très gentil à l'avenir, que je déplore toute ma part de torts, que j'ai enfin l'esprit net, que je t'aime bien, si tu ne veux pas revenir, ou que je te rejoigne, tu fais un crime, et tu t'en repentiras de longues années par la perte de toute liberté, et des ennuis plus atroces peut-être que tous ceux que tu as éprouvés. Après ça, resonge à ce que tu étais avant de me connaître").


Ainsi, Holland reprend cette image du couple médiatique sulfureux mais finit par caricaturer les deux hommes : l'indépendant et le pitoyable. En effet, le personnage de Verlaine devient de plus en plus pathétique, s'accrochant à un Rimbaud pourtant impalpable, comme le montre la scène représentant la dernière entrevue des deux poètes :