2. L'exploitation de la photographie d'Etienne Carjat : vers la "Rimbaumania"


         "Étienne Carjat photographiait M. Arthur Rimbaud en octobre 1871 [...]. N'est-ce pas bien "l'Enfant Sublime" sans le terrible démenti de Chateaubriand, mais non sans la protestation de lèvres dès longtemps sensuelles et d'une paire d'yeux perdus dans du souvenir très ancien plutôt que dans un rêve même précoce ? Un Casanova gosse mais bien plus expert ès aventures ne rit-il pas dans ces narines hardies, et ce beau menton accidenté ne s'en vient-il pas dire : "va te faire lanlaire" à toute illusion qui ne doive l'existence à la plus irrévocable volonté ? Enfin, à notre sens, la superbe tignasse ne put être ainsi mise à mal que par de savants oreillers d'ailleurs foulés du coude d'un pur caprice sultanesque. Et ce dédain tout viril d'une toilette inutile à cette beauté du diable ! " ( Extrait de l'article sur Les Poètes Maudits, Paul Verlaine, Lutèce du samedi 29 mars au samedi 5 avril 1884).
Cet extrait d'un court texte de Verlaine n'est pas sans rappeler le jeune homme à la "tignasse" immortalisé par la photographie d'Etienne Carjat :

« Photographie de Rimbaud à dix-sept ans », Etienne Carjat, Bibliothèque Nationale de France, 1871

Bien qu'existant des photographies antérieures et postérieures à celle de Carjat, c'est bien celle-ci qui est devenue le portrait officiel de Rimbaud. Comme nous l'avons vu précédemment, cette photographie est incontestablement la représentation même du mythe rimbaldien tel que l'imaginaire collectif l'imagine
Mais cette représentation est bien plus qu'un simple cliché car elle a également participé à la création du mythe rimbaldien dans les domaines artistiques et sociaux :



        Inspiration artistique et commerciale
 
Cette photographie de Carjat a été détournée et reprise maintes fois et notamment dans la domaine des arts. Cette recherche propose différentes réécritures de l’œuvre de Carjat, chaque artiste interprétant l'objet à sa manière mais dans des thématiques communes : 

"Portrait d'Arthur Rimbaud", Valentine Hugo, 1933, Huile sur tableau

 
Fernand Léger, illustration des Illuminations, Éditions des Gaules, Lausanne, 1949

Pablo Picasso, Exemplaire exécuté sur papier couleur de la lithographie destinée à l'album
Arthur Rimbaud vu par les peintres contemporains,
Éd. Au dépens d'un amateur, Nice,
1960.

Peinture ou dessin, cette photographie a véritablement été sujet d'inspiration dans le domaine des arts. Onirisme, poète "voyant" ou jeunesse éternelle, les thématiques se suivent et se répètent autour de l'interprétation de l’œuvre de Carjat. Mais, si elle est "réécrite" par multiples artistes, elle a également été détournée à outrance :

Source : http://culturevisuelle.org/icones/717

Comme le souligne André Gunthert, dans son article de "l'Atelier des icônes", Rimbaud "ne se résume certainement pas à une icône – mais il n’existe pas sans elle". Ainsi, cette fécondité dans les réécritures de la photographie de Carjat est inhérente à la représentation que le public se fait du poète. 
Bien plus qu'un sujet d'inspiration artistique, cette photographie est véritablement devenu un objet commercial proposant différents produits dérivés. Le site "Première" nous offre d'ailleurs un panorama des produits de la "Rimbaumania" : http://fluctuat.premiere.fr/Diaporamas/Rimbaudmania-les-produits-derives-3159938

Ainsi, exploitée à outrance, cette photographie ne représente presque plus le poète lui-même mais plutôt les thématiques qu'il représente. Rébellion adolescente, esprit rêveur et créateur, beauté et jeunesse éternelles sont les thématiques principales qu'inspirent cette photographie. Ce n'est plus Rimbaud mais ce qu'il représente que révèle cette photographie.